Sunday, September 21, 2008

Lettre à Geoff

Cher Geoff,

Je t'écris du Québec, où tu nous a quitté, il y a quelques semaines, pour accomplir ta quête, armé de ton pouce et de ta guitare. Ton périple t'emportera dans des endroits insoupçonnés de l'Amérique, et tu rencontreras des gens et des genres qui te changeront à jamais. Tu en reviendras plus riche de savoir.

Ici, au Québec, la bataille fait rage, au sujet des coupures du gouvernement fédéral dans le domaine de la culture, au sujet de subventions auxquelles tu aurais pu, éventuellement, être éligible. Une lutte noble, en apparence, puisqu'elle semble axée sur la liberté et le rejet du fascisme conservateur. Mais cette lutte est portée de manière narcissique par les plus mauvais des hérauts: les artistes eux-mêmes; ou plutôt, les représentants de leur industrie, les nantis.

Dans une lettre ouverte, 1200 artistes ont violemment condamné le gouvernement conservateur pour ces coupures. Une condamnation qui aurait pu être sympathique au reste de la population, si le langage utilisé avait été populaire, rassembleur. Il n'en était rien. Au contraire, dans un langage économiste du genre : "regardez comment on rapporte de l'argent, continuez de nous subventionner!", ces artistes ont complètement escamoté la dimension sociale, populaire et humaine de la quête artistique. Cette lettre ouverte, ainsi que les interventions subséquentes, n'ont rien fait pour aider.

La réaction populaire a été violente; trop violente, même. On s'interroge sur le pourquoi d'une telle violence. Bien sûr, les chauvins conservateurs et adéquistes, trop heureux de trouver un nouvel exutoire à leur haine de tout ce qui n'est pas blanc, chrétien, hétéro et de droite, s'en s'ont payé une bonne tranche. Les immigrants, homosexuels, chômeurs ou prestataires de l'aide sociale peuvent souffler un peu. Ils en ont bien besoin.

Alors, te demanderas-tu, pourquoi une telle violence? Beaucoup ont chuchoté la réponse; elle tient surtout à l'absence des artistes dans le discours social, et ce, depuis des années. Une absence remarquée, surtout dans un contexte d'appauvrissement général de la population, de coupures massives dans le domaine de la santé et des services sociaux, ainsi que dans la montée de la droite conservatrice.

Bien sûr, tu me diras que beaucoup d'artistes donnent de leur temps, de leur énergie, à intervenir dans le discours social, et tu auras raison. Mais pour chaque Falardeau, Deschamps, ou Bigras, il y a combien de parasites, "plogueurs" d'autres artistes, et animateurs-trices de "talk shows" ou on pratique le nombrilisme à l'échelle industrielle? Ceux que la population considère comme bien nantis, et comme artistes, à tort ou à raison?

Les deux dernières interventions des artistes n'ont pas été très édifiantes: d'une part, Garou qui vaut aider, par ses investissements, à privatiser notre système de santé public, et cette lettre ouverte...

Le pire, dans tout cela, c'est que la cause est juste! Ces subventions coupées auraient pu aider à la relève, dont tu fais partie, cher ami. C'est cela, surtout, qui est dommage. Mais comment réagirais-tu, si la personne qui vient quêter en ton nom s'habillait en Armani, conduisait une Porshe, et se foutait de ta condition économique? La population, à tort, voit cela comme la dernière grève des joueurs de la LNH. Elle devrait pourtant se pencher sur le salaire des joueurs de la LNI!

Il faudra bien qu'un jour, ces marchands du temple de la culture fassent preuve d'autocritique. Mais ce n'est pas la plus grande qualité des narcissiques...

Alors je te laisse à ton périple à la Kerouac, tes salles de spectacles enfumées, et tes immenses découvertes! Prends ton temps avant de revenir, que la poussière retombe, et que les esprits se calment. Toutes mes pensées sont avec toi.